Elle écoute leur respiration tranquille, des chuintements cadencés qui dialoguent, des petits fridulements de babines, des soupirs, le rythme d'un bruissement de souffles entremêlés. Le rythme... Après expiration, ce long silence d'avant l'inspiration. Et puis, l'inspiration comme un secours de dernière minute. Et s'il ne venait pas, et si ce long silence mat, terne incolore se prolongeait, et si c'était un silence définitif. Combien de temps faut-il attendre avant d'avoir vraiment peur? Combien de temps pour qu'il ne serve plus à rien d'avoir peur parce qu'on n'a pas su vraiment le moment précis où le seuil a été dépassé, ce seuil entre la vie avec son souffle et la mort avec brusquement son inertie irréversible. Elle aurait voulu veiller Jo. Elle aurait voulu guetter son souffle, suspendre le sien au bip bip régulier du moniteur cardiaque. Assise sur une chaise inconfortable de la salle d'attente, à côté du service de réanimation, elle attendait, attentive aux battements de porte, aux allées et venues des silhouettes blanches, aux murmures dont elle ne distinguait pas les mots, dans cet environnement qui lui avait été si longtemps familier et réconfortant et qui, à cet instant, la terrifiait à cause de l'amour qui s'y écartelait. Et pourtant, elle savait déjà ce qu'on allait lui dire, elle l'avait su au moment même de l'impact. A aucun instant, elle n'a pensé que cela aurait pu être elle. Brusquement, il lui a paru évident qu'elle n'aurait même pas le temps de crier: je t'aime, que la déchirure était imminente en plein cœur d'une histoire qu'elle sentait loin de son terme. Elle avait pensé: ce n'est pas juste, comme si elle savait déjà, avant même le choc, qu'il y aurait une victime et que ce serait lui et non elle bien qu'elle ait été à la place du mort, même si le contact l'avait prise de plein fouet.