Je l'ai vue, menue, dans un grand fauteuil de skaï marron clair. Peut-être était-ce à cause de l'habitude, elle avait l'air calme, sereine. Les traits tirés de son visage, la saillie des pommettes ne semblait même pas lui faire peur. Les voyait-elle, d'ailleurs? Elle me souriait et je devinais l'attendrissement dans ses yeux. Ce regard m'avait fait du bien. On a beau se dire que la douleur, c'est dans la tête et qu'à bien la prendre, à bien l'accueillir, elle ne sera qu'elle-même, un influx nerveux à travers une chaîne de neurones qui grimpe jusque dans la tête. Pourtant plus on est seul, plus elle s'intensifie. Son regard m'avait capté avant d'avoir été complètement soulagé de ma peur et l'avait rendue évanescente. Elle m'avait paru belle, avec ses petites rides au coin des yeux comme des moustaches de chat et sa minceur un peu tragique. Son foulard était enroulé savamment sur son front. J'aurais voulu lui parler mais deux fauteuils nous séparaient occupés par des enfants sous perfusion qui échangeaient leurs expériences d'école, comment ils étaient perçus par leurs camarades arborant leur petit crâne chauve, tantôt admirés, tantôt méprisés pour leur différence.

Mais peu importait les mots, j'avais déjà la certitude ou le pressentiment que nos destins allaient être liés définitivement, elle ne semblait pourtant pas me prêter grande attention, elle écoutait, tristement amusée, les deux enfants et leur babillage étonnant, empreint d'une sagesse d’anciens comme si leur combat quotidien pour affronter les piqûres, les ponctions et même les gros cachets les avaient mûris prématurément.